Sous diverses formes et avec des justifications économiques et financières parfois savantes, l’affirmation que l’art est devenu un actif financier comme les autres apparaît régulièrement dans la presse spécialisée et les forums d’investisseurs.
Nous pensons pour notre part que cette affirmation est fausse, ce qui n’est pas trop grave, mais aussi pernicieuse, voire dangereuse, ce qui l’est beaucoup plus.
Rappelons qu’un actif financier est avant tout un titre ou un contrat, généralement négociable sur un marché financier, procurant à son détenteur des revenus financiers et, éventuellement, lui permettant un gain financier lors de sa cession sur ce marché. Les revenus peuvent être plus ou moins certains, le gain financier (ou la perte) lors de la cession est aléatoire ; le risque attaché à la détention de cet actif financier vient en contrepartie des gains escomptés.
Une œuvre d’art n’est ni un titre, ni un contrat, heureusement !
Sa négociabilité sur un marché financier est extrêmement faible. Les revenus financiers attachés à sa détention sont inexistants, dans la plupart des cas.
Enfin, le gain financier lors de sa cession est hautement aléatoire et cet aléa ne peut être mesuré ou évalué, de quelque manière que ce soit (par référence au passé, à des comparables, par la modélisation etc.).
Poursuivons.
Le marché de l’art ne ressemble en rien à un marché financier :
les actifs échangés n’ont aucun élément de standardisation, voire de comparaison (on devrait parler des ‘‘micro-marchés’’ de l’art),
le nombre des acteurs est ridiculement faible,
les asymétries d’information sont gigantesques,
le mécanisme de formation des prix ne respecte aucun des critères habituels utilisés pour en évaluer la qualité et l’efficacité :
aucune relation décelable entre le prix affiché, l’espérance de rendement, le risque,
aucun mécanisme de découverte des prix et de diffusion de cette information (fourchettes de cotation, teneurs de marché, carnets d’ordres),
aucune force de rappel à d’éventuels ‘‘excès’’ du marché : il n’existe pas de vendeurs ‘‘naturels’’ de l’actif face à une forte pression acheteuse, l’offre est inélastique au prix (quoique, pour certains artistes contemporains …) ; des prix bas ne génèrent guère plus de demande, tout au plus une grande morosité chez les acteurs,
aucune possibilité de vente à découvert et de couverture à terme.
Tout cela ne porterait pas trop à conséquence si, régulièrement, le thème de l’art comme actif financier ‘‘comme les autres’’ mais plus recherché, hautement rentable et tellement plus chic n’était pas proposé, sous diverses formes, aux investisseurs particuliers.
La transformation d’un actif physique en un actif financier est une opération délicate, presqu’un art !
Elle n’est bien sûr jamais totale : les caractéristiques de l’actif physique ‘‘sous-jacent’’ restent très présentes dans tous les contrats à terme sur matières premières, énergie, métaux précieux etc. qui existent depuis des dizaines d’années. Mais les éléments décrits ci-dessus s’appliquent à ces actifs et à ces marchés, plus ou moins bien.
Comme la transformation du plomb en or, la transformation d’une œuvre d’art en un actif financier nous semble plutôt relever de l’alchimie, quand ce n’est pas de l’escroquerie.
Photo d’ill. : Ryan Foerster (Canada, b. 1983), Hurricane, an »alchemic gesture » (2006-2012)