La récente décision de la Commission des Sanctions de l’AMF en date du 12 mai 2014 (voir la sanction) nous invite à revenir sur plusieurs aspects de la conformité réglementaire des sociétés de gestion, en particulier dans les domaines :
1. de la primauté de l’intérêt des porteurs,
2. de la prévention et de la gestion des conflits d’intérêt,
3. de l’information des porteurs.
Sur le plan de la gestion des risques, la décision aborde le champ :
1. de la gestion du risque de liquidité des fonds ;
2. des dépassements de ratios réglementaire ;
3. du suivi des investissements croisés ou réciproques.
Enfin, sur la forme, la décision de la Commission nous permettra d’aborder le sujet de la présentation du rapport du contrôleur de l’AMF et de son contenu.
Revenons en détail sur chacun de ces points, pour en tirer des enseignements pour la conduite de nos opérations.
1) De la primauté de l’intérêt des porteurs.
Ce principe essentiel doit conduire la société de gestion à analyser a priori, en détail et de manière très formalisée, les circonstances dans lesquelles un investissement particulier est réalisé pour le compte d’un fonds (le fonds A) en toutes circonstances, mais surtout si cet investissement est réalisé : a) dans un fonds B géré par la société de gestion ; b) pour permettre à ce fonds B de respecter des seuils ou ratios réglementaires ou c) pour permettre à ce fonds B de conserver son profil de risque initial. Dans ce contexte, analyser, formaliser et documenter le processus d’investissement du fonds A est crucial pour pouvoir justifier du respect de ce principe.
2) De la prévention et de la gestion des conflits d’intérêt
S’être doté d’une cartographie des risques de conflits d’intérêt et des procédures de gestion de ces risques, c’est bien. La maintenir opérationnelle et la respecter, c’est mieux.
La société de gestion doit prendre ‘’toutes les mesures raisonnables pour empêcher les conflits d’intérêts de porter atteinte aux intérêts de [ses] clients’’. De manière concrète, il s’agit ici de pouvoir justifier en toutes circonstances du choix de certains investissements, de respecter les listes éventuelles de titres sous surveillance ou interdits et de contrôler a posteriori le processus de sélection des investissements porteurs de conflits d’intérêt potentiels.
3) De l’information des porteurs
On rappellera ici que lorsqu’un fonds investit dans un autre fonds géré par la même société de gestion ou par une société liée, ceci doit être explicitement prévu dans le prospectus complet du fonds, nonobstant la durée d’un tel investissement ou sa taille relativement à l’actif du fonds concerné. L’obligation d’information ‘’est l’une des règles essentielles de traitement des conflits d’intérêts’’ au sein d’une société de gestion. L’identification a priori de ces conflits d’intérêt potentiels en est un préalable.
4) De la gestion du risque de liquidité des fonds
Ce point est capital dans l’enchaînement des faits qui a motivé les décisions de la Commission des Sanctions (des rachats très importants ont entraîné la baisse de l’encours du fonds en-dessous du niveau réglementaire minimal).
On n’insistera jamais assez sur la nécessité de se doter des outils et procédures visant à prévenir et gérer le risque de non liquidité d’un fonds, soit du fait de rachats importants au passif, nécessitant la vente immédiate d’actifs correspondant, soit du fait de circonstances de marché empêchant la société de procéder à la gestion habituelle de ses actifs. En particulier, il est critique de connaître à l’avance la conduite à tenir dans ces deux cas, par la mise en œuvre : a) d’analyses a priori : classement des actifs en fonction de leur liquidité, règles d’investissement internes, analyse du passif et simulations de rachats massifs et / ou continus, et b) de scénarios de crise : choix des investissements à liquider et calendrier, recours à des liquidités externes, mise en place de limitations / suspensions des rachats, communication de crise à l’attention des porteurs etc.
5) Des dépassements de ratios réglementaires
La décision rappelle opportunément qu’un dépassement de ratio réglementaire même marginal (par rapport à l’actif du fonds ou par rapport au seuil réglementaire autorisé), temporaire et très circonscrit dans le temps (quelques jours), et sans conséquence préjudiciable pour les porteurs reste un manquement réglementaire caractérisé et n’exonère pas la société de gestion de sa responsabilité.
6) Des investissements croisés et réciproques
La décision rappelle qu’aucune disposition légale ou réglementaire n’interdit les investissements croisés ou circulaires. Toutefois, il est clairement indiqué que ce type d’investissement génère un cumul des frais de gestion pour les porteurs, rend plus difficile la valorisation des fonds, conduit à une augmentation artificielle des encours de la société de gestion. L’analyse est nuancée ‘’lorsque les participations réciproques ne portent pas sur des montants significatifs […]’’.
Pour notre part, rappelons que la pratique des investissements croisés peut aussi générer, au total, un risque de liquidité accru pour la société de gestion, une concentration des risques et des effets de bord imprévus, et qu’en tout état de cause, ces investissements doivent : a) être explicitement prévus dans le prospectus des fonds ; b) avoir une logique de gestion dûment analysée et formalisée ; c) être suivis en consolidé à l’échelle de la société de gestion et d) être revus de manière régulière par une autorité indépendante de la gestion.
7) Sur la forme du rapport du contrôleur AMF
Sur la forme, enfin, le texte de la décision rappelle que le rapport écrit (du rapporteur de l’AMF) : a) n’est qu’un des éléments du dossier au vu desquels la Commission des sanctions se prononce, b) peut ne pas reprendre le plan adopté par la notification de griefs, c) peut retenir des faits et des griefs qui n’y ont pas été mentionnés au préalable, enfin : d) peut adopter la présentation ‘’la plus à même d’éclairer la Commission des sanctions’’.